25 novembre 2013

L'État, c'est quoi ?

Au collège et au lycée, en principe, on reçoit des cours d'éducation civique. Bon, des fois, le prof d'histoire-géo en charge de cet enseignement en profite pour boucler le programme de sa propre matière. Des fois, il sait pas lui-même à quoi sert cette matière, alors il fait regarder des films. Mais quand même, des fois, les élèves reçoivent de vrais cours d'éducation civique. Où ils apprennent, par exemple, que le Parlement vote les lois.
Mais ces cours, c'est de la merde. Parce qu'on apprend des tas de trucs qui ne servent strictement à rien, comme le fait qu'il faut avoir au minimum 24 ans pour être élu sénateur : sérieusement, quel pourcentage de la population collégienne sera assez célèbre politiquement avant ses 24 ans pour briguer un mandat de sénateur ? Parce qu'en revanche, après sept ans d'éducation civique, la plupart des élèves ignore ce qu'est une commission parlementaire, n'a jamais entendu parler de question écrite au Gouvernement, est bien incapable d'expliquer la différence entre une loi et un décret, et si elle connaît le « 49-3 », c'est par les manifs lycéennes. Et au passage, elle s'imagine que l'adoption forcée de la loi est sans contrepartie...
Résultat, on se retrouve avec des gens qui ont le droit de vote, mais ne savent même pas quels sont les pouvoirs qu'ils accordent aux candidats qu'ils élisent. Des gens qui ont peur de la loi mais n'ont jamais ouvert un Journal Officiel de leur vie. Des gens qui viennent gueuler contre tous ces salauds de fonctionnaires de la Sécu. Manque de bol, y'a pas de fonctionnaire à la Sécu... Alors comme je suis moi aussi un fainéant d'agent de l'État, je vais vous expliquer un peu qui sont les fonctionnaires, comment ils travaillent, quel est leur mode de reprod... non ça on le laissera de côté.
Sauf que pour comprendre les fonctionnaires, il ne suffit pas de faire un comparatif avec les travailleurs du privé, ce serait passer totalement à côté des différences principales. C'est pourquoi, avant toute chose, je vais vous expliquer l'État c'est quoi.


Et après plus de deux longs mois d'absence, je suis de retour sur Alt-F4 avec un article sur les fonctionnaires, où l'on s'efforcera de comprendre pourquoi ce sont des fainéants !
Par ailleurs, le blog a bien grandi, on a maintenant publié presque tous les auteurs au moins une fois, alors n'hésitez pas et découvrez la richesse de ce téladiaire !

24 septembre 2013

Toubon 2.0

En 1994, au tout début des Internets donc, le Parlement a adopté une loi dite « relative à l'emploi de la langue française » bien vite renommée loi Toubon d'après son initiateur, le ministre de la culture de l'époque. Le but principal était de protéger notre belle langue contre les vilains anglicismes qui fleurissaient alors. Évidemment, à l'époque, tout le monde s'est foutu de la gueule de ce brave M. Toubon en le surnommant Mr Allgood. Les Français sont taquins... Mais cette loi n'était pas aussi débile qu'elle en a l'air. C'est elle qui oblige à l'utilisation du français sur les notices d'utilisation, sur les emballages de produits, dans le monde du travail et dans les contrats. Vous qui êtes de parfaits geeks et savez fort bien parler anglais, vous vous foutez bien sûr éperdument que votre paquet de pâtes ne soit écrit qu'en rosbif ou que votre patron vous fasse bosser dans la langue de Shakespeare. Fort bien. Imaginez maintenant que vous bossiez pour Samsung et qu'on vous colle entre les pattes un logiciel en coréen non-traduit. Ou que les informations pour porter réclamation sur votre billet d'avion d'une célèbre compagnie à bas prix (lowcost) soient uniquement en gaélique. Ça vous ferait moins rigoler, tout de suite, hein ? Heureusement, c'est illégal en France, alors on dit merci, merci M. Toubon.


La suite de cet article se trouve sur le blog collaboratif Alt+F4 auquel je participe depuis maintenant deux mois et qui vient d'ouvrir enfin ses portes. N'hésitez pas à aller regarder les articles des autres auteurs, ils sont bien aussi, même s'ils n'ont évidemment pas ma classe légendaire, mon goût indiscutable ni surtout ma modestie abyssale. Hrum. Bref, bonne lecture.

3 juillet 2013

Cruda verba

Et bien voilà, aujourd'hui nous avons atteint le stade fatidique de 1000 visites sur ce blog. Je tiens à remercier tous mes lecteurs, mais plus encore blogsrating.pw (ne suivez pas le lien) : sans ton spam incessant, rien de tout cela n'aurait été possible.

Alors pour réjouir tout le monde, je vais vous parler de grivoiseries, ou plutôt de mots pour en parler. En français, lorsque l'on veut parler de basses fonctions corporelles sans être trop vulgaire, on utilise beaucoup de mots latins (pénis, anus) ou empruntés directement à icelui (déféquer, uriner, vagin). À tel point qu'au XVIIe siècle, « faire du latin » était une manière détournée de dire qu'on allait « faire des chocapics ». Mais en latin même, ces mots étaient des euphémismes : « penis » signifie « queue », « vagen » signifie « fourreau », etc. Pourtant, cette belle langue de nos ancêtres possédait un vocabulaire riche et varié, parfois même plus que le nôtre, pour parler de ces choses-là. Certains mots sont parvenus jusqu'à nous : foutre, con, cul, couilles ou encore merde nous arrivent directement du Ier siècle avant JC. La plupart ont disparu ou n'appartiennent plus qu'à la langue ultra-littéraire. Je vous propose un petit tour de la question, où nous verrons comment les mots auraient pu évoluer.

À tout seigneur tout honneur, parlons de bite. Le latin possède deux mots pour cela : « mentula, ae » et « verpa, ae ». Le second est assez rare, et donnerait *verpe en français, ce qui ressemble par trop à verge. Le premier est plus intéressant. Il a été emprunté au XVIe siècle sous la forme mentule, qui existe toujours de nos jours, mais est vieillotte. Il est difficile de savoir avec certitude comment le mot aurait évolué naturellement, mais on peut se fonder sur l'italien où le mot existe encore sous la forme minchia : l'équivalent français serait sans doute *mencle.
Le latin possède également le mot « sōpio, ōnis », qui désigne un dessin d'un homme avec une énorme bite : en français, ce serait devenu un *soujon, sur le modèle de goujon < gōbio, ōnis. Mesdames, vantez-vous auprès de vos amies d'avoir un soujon à la maison, ce sera du plus bel effet !
Le mot clitoris, lui, vient du grec. Cela s'explique par le fait que le mot latin « landīca », de même sens, était extrêmement vulgaire : même les auteurs les plus portés sur la gaudriole l'évitaient, on n'en trouve la trace que sur des graffitis. Il a pourtant perduré jusqu'en ancien français, sous la forme landie. Le dictionnaire Godefroy cite cet extrait du Roman de Renart : « Les dames l'apelent lendie // Por ce qu'ele est enmi le con. » = « Les dames l'appellent landie // Parce qu'elle est au milieu du con. » Messieurs, avouez que c'est un mot plus glamour que clito...

Nos ancêtres possédaient un riche vocabulaire autour de la sodomie. Ainsi, ils opposaient « pathicus, ī » et « paedīco, ōnis ». Le premier est un sodomite passif, et le second est un sodomite actif : il est important de noter que le deuxième partenaire peut être aussi bien un homme qu'une femme, dans un cas comme dans l'autre. Les mots, s'ils se fussent transmis au français, seraient devenus respectivement *péique et *pédillon. Ce dernier vient du verbe « paedīco, āre », signifiant simplement enculer, et qui donnerait en français *pédiller. Si l'on veut parler d'un homme qui ne se fait enculer que par des hommes, le terme était alors « cinaedus », ce qui aurait évolué en *cénoid, que l'on peut orthographier *cénoit pour bien marquer que la consonne finale est purement orthographique.
Dans le même ordre d'idée, ils utilisaient une belle paire de verbes pour signifier « se faire fourrer, remuer les hanches », ce que les anglophones disent « grind ». Il s'agit de « cēveo, ēre » et « criso, āre » : le premier s'applique uniquement aux hommes, et le second uniquement aux dames. Le second donnerait criser en français, et ne peut donc plus être utilisé. On devra donc se contenter de *cevoir, à conjuguer comme son grand frère recevoir, pour les deux sexes.

Pour les fonctions excrétrices, le latin connaissait « meio, ere » et « mingo, ere » pour pisser, et « cunio, īre » pour chier. Meio ne donnerait rien en français, en revanche mingo pourrait donner *meindre sur le modèle de feindre qui vient de fingo. Quant à cunire, cela serait devenu tout simplement *conir, sympathique verbe du deuxième groupe.
Enfin, pour terminer en beauté, je vous présente le mot « tribas, adis » qui signifie lesbienne. C'est un emprunt au grec, dans laquelle langue il signifie « frotteuse », car les goudous se frottent la moule. Au XVIe siècle, on l'a emprunté sous la forme tribade, qui est tout à fait utilisable. S'il avait évolué normalement, il aurait pu donner *troide, qui aurait été trop proche de Troade, ou plus vraisemblablement *troive.

Vous voici désormais armés d'une petite dizaine de mots pour parler de conchoncetés l'air de de ne pas y toucher, ce qui est toujours bon à prendre. Et pour ceux qui se poseraient la question, oui, les formulations ambiguës dans le corps du texte sont volontaires. Et si cela ne vous plaît pas, aller donc vous faire pédiller !

23 juin 2013

De l'importance de s'abreuver à la source

Dès lors qu'un débat politique agite la scène française, la toile et les médias s'emplissent d'articles nombreux pour en commenter tel ou tel aspect. Et nos politiques profitent de la moindre occasion pour venir parler de leurs idées et de leurs projets, que ce soit une interview sur Europe 1 ou comme plus récemment, une tribune dans le Nouvel Observateur. Ici, dix députés « en colère » font des propositions pour moraliser la vie politique. En vérité, je vous le dis, vous pouvez mettre cet article à la poubelle, car il n'a aucun intérêt. En effet, la seule certitude quant à ce qu'un député a réellement l'intention de faire, ce sont les propositions de loi qu'il fait et celles qu'il approuve par son vote. Et c'est là que le bât blesse. Voyez la proposition de Bruno Le Maire : obliger les hauts-fonctionnaires à démissionner de la fonction publique lorsqu'ils entrent au Parlement, pour limiter les conflits d'intérêt. Sur le principe, surtout défendue dans les termes qu'il utilise, elle a l'air bien cette idée. Sauf que la loi que Le Maire propose à l'adoption, c'est celle-ci. Regardez bien l'article 3. Oui, vous avez bien lu, ce ne sont pas seulement les hauts-fonctionnaires, mais bien tous les fonctionnaires sans exception qui doivent démissionner. Si ma secrétaire de mairie veut être parlementaire, elle devra quitter la fonction publique. Comment ? Un fonctionnaire de base devra repasser un concours — plus des entretiens d'embauche pour les fonctionnaires territoriaux — pour revenir dans la FP en fin de mandat, tandis qu'un haut-fonctionnaire, choisi de manière discrétionnaire, n'aura besoin que de potes au Gouvernement pour revenir ? Allons, Monsieur Le Maire n'y a absolument pas pensé, voyons ! Ce n'est pas du tout une loi contre les fonctionnaires, ce ne serait pas le genre d'un ancien ministre de Sarkozy...
Par cet exemple, je veux vous engager à vous initier un peu au droit, et à toujours aller regarder la loi, sans écouter ce que les politiques en disent. C'est le seul moyen de ne pas vous faire entuber.

10 juin 2013

Vite ... saute sous la douche !

Ben oui, c'est la suite logique de « Ciel mon fasciste ». Suite à de récentes discussions, et puisque une petite piqûre de rappel ne peut pas faire de mal, je m'en vais m'étendre sur quelques considérations concernant les électeurs du Front National qui méritent d'être à nouveau explicitées. Pour la commodité du discours, et parce que j'aime me la péter, je vais jouer à Platon : comprendre que je vais vous poser des questions et y répondre à votre place. Oui, c'est comme ça.

Tous les électeurs du FN sont-ils semblables ?

Non. Ce devrait être une évidence, mais visiblement, c'est plus difficile que prévu à faire admettre. Aux dernières élections, le FN représentait 13 % de l'électorat français, soit plus que le Front de Gauche. Quand on voit la diversité des tendances au sein de la direction même du PS, de l'UMP ou du FdG, comment peut-on envisager un seul instant que près d'un sixième des votants de France soient tous animés par les mêmes motivations, soutiennent les mêmes idées, préconisent les mêmes solutions ? Cette évidence est d'autant plus importante à rappeler lorsque l'on parle du Gard ou du Vaucluse, où les frontistes peuvent représenter jusqu'à 40 % des électeurs. Il n'y a pas grand chose en commun entre l'étudiant obligé de vivre dans les quartiers nord de Marseille faute d'avoir les moyens d'habiter ailleurs, le paysan de l'Aisne qui n'a jamais vu un étranger de sa vie, et le cadre du FN qui réside dans sa propriété familiale de Saint-Cloud. Pourtant, tous les trois ont voté pour Marine Le Pen. Mais pour des raisons différentes.

Le frontiste moyen est-il intégralement en accord avec les thèses du FN ?

Non. Cela paraît absurde rien qu'en le disant. De même que le socialiste moyen n'est pas d'accord avec toutes les positions du bureau national, que l'umpiste moyen aurait bien du mal à être entièrement d'accord à la fois avec Fillon et Copé, et que le militant du NPA se reconnaît justement au fait d'être en désaccord avec ses dirigeants (c'est une blague !), de même, le frontiste moyen est gêné aux entournures par certaines prises de position de la famille Le Pen. Vous qui avez voté PS en 2012 — je m'adresse à ceux qui ont voté utile, pas aux encartés — étiez-vous sincèrement partisan de chacune des soixante propositions de Hollande ? On reproche en particulier au frontiste moyen certaines thèses très brunes du bureau central du FN, révélées notamment par le reportage en immersion de Claire Checcaglini. Peut-on honnêtement condamner un électeur pour des idées de ses élus qui n'avaient précisément pas vocation à être divulguées ? Peut-on condamner en bloc les électeurs de l'UMP à cause de Patrick Buisson ? Peut-on condamner en bloc les électeurs du PS ou du Front de Gauche pour quelque conviction de Hollande ou de Mélenchon que ceux-ci se gardent bien d'exprimer, de peur d'effaroucher l'opinion publique ? Mais, me direz-vous, peut-être le frontiste moyen les partage-t-il ces idées !

Y a-t-il des xénophobes parmi les frontistes moyens ? Et des néo-nazis ?

Oui, indubitablement. Quand une des mes connaissances frontistes m'affirme les yeux dans les yeux que le vomi d'Arabe est plus dégoûtant que le vomi d'Européen, il s'agit sans doute possible de xénophobie. Mais il faut garder en tête que les xénophobes ne sont pas tous au Front National. Quand un ministre UMP publie une circulaire appelant à la répression « principalement des Roms », c'est de la xénophobie. Quand SOS Racisme considère qu'être noir ou basané est un motif suffisant pour se faire plus aider qu'un Européen, c'est de la xénophobie. Plus insidieuse, mais de la xénophobie quand même. Quand un jeune d'origine maghrébine traite un autre jeune d'origine européenne de « fils de pute de sale juif », c'est aussi de la xénophobie. Quant aux néo-nazis, il y en a aussi au FN : quelques uns ont eu l'idée saugrenue de s'en vanter. Mais en général, le nazillon moyen considère que les frontistes sont des couilles molles : lui milite plutôt au Bloc Identitaire ou au GUD.

Que recherche réellement le frontiste moyen ?

Un bouc émissaire. Le monde est éminemment complexe et nombreux sont ceux à qui l'on peut donner une part de responsabilité dans sa misère. Mais déterminer quelle part en est imputable à chacun, que voilà une tâche titanesque ! Si les plus fins analystes de ce monde n'y sont pas parvenus, comment reprocher à des esprits plus simples de chercher une solution plus simple ? C'est humain. En vérité, c'est plus que cela : nos amis les chimpanzés pratiquent eux aussi la technique du bouc émissaire. Et si l'on se regarde en face, on a tous ce travers : au FN on s'en prend aux Arabes, à l'UMP on conspue ces fainéants d'assistés, au PS on vitupère contre ces maudits banquiers, au FdG on vilipende ces salauds de riches, et au NPA on voudrait pendre le dernier patron avec les tripes du dernier curé. Et tant pis pour mon traiteur libanais parfaitement intégré, pour les ouvriers de PSA qui ne demandent qu'à bosser à condition que leur usine ne soit pas délocalisée en Roumanie, pour le banquier qui m'a déconseillé d'ouvrir un PEL alors que sa banque avait besoin d'argent, pour tous les mécènes de France et de Navarre et pour les dirigeants d'entreprise coopérative : on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs. Et tant pis si au fond on sait que ça ne réglera pas tous nos problèmes, il sera toujours temps de trouver un nouveau bouc émissaire...

Que reproche-t-on réellement au wesh ?

Avant toute chose, il faut préciser le sens du mot wesh. Un wesh, c'est ça : http://imgur.com/Kcq1LnI. Il faut donc le distinguer de l'Arabe (http://imgur.com/SA29bL1) et du gros con (http://imgur.com/SAX8lRj) : il appartient aux deux catégories, mais n'en est pas représentatif.
La petite et moyenne délinquance. Pour ce qui est de la petite, elle a toujours existé. Du temps de mon grand-père, des groupes de jeunes hommes venaient régulièrement mettre le dawa dans les balèti, et ce n'étaient pas des étrangers. J'ignore si l'oisiveté est mère de tous les vices, mais assurément, quand on ne fait rien de ses journées, non parce qu'on ne veut rien faire mais parce qu'on ne peut rien faire (pour les quinze mille habitants de mon bled, le cinéma le plus proche est à vingt kilomètres et coûte plus de dix euros la séance), il faut bien trouver de quoi occuper son esprit. Quant à la moyenne délinquance, elle ne concerne qu'une minorité, en général une seule bande dans toute une cité. On comprend aisément les motivations de ces gens : ils n'auraient jamais eu les moyens de se payer leur Mercedes chevrolet avec un salaire d'éboueur... Dans un cas comme dans l'autre, c'est une affaire de misère, et par conséquent cela ne concerne pas que les weshs. Les deux gamins qui ont volé des ordinateurs et essayé de les refourguer au camp de Roms dans le collège où bosse ma femme portaient des noms bien français (le département des Bouches-du-Rhône offre un portable à chaque élève entrant en quatrième, pour replacer le contexte). Et au fin fond de la Picardie, là où jamais un Maghrébin n'a mis le pied, ce sont de bons Gaulois qui lancent des cailloux sur les chiens de passage. Le sieur MC Circulaire vous racontera ça mieux que moi.
L'incivilité. C'est un fait, se faire insulter parce qu'on a eu le malheur de passer devant une tablée de Maghrébins, cela n'a rien de plaisant. Et contrairement à la question de la délinquance, le fait que ce soient des étrangers joue un rôle. En effet, la civilité, c'est un ensemble de codes de comportement acquis par l'éducation. Par conséquent, la capacité à apparaître bien éduqué auprès d'un groupe est inversement proportionnel à la distance culturelle qui nous en sépare. Un rustre bien gaulois semblera moins civilisé à la réception de l'ambassadeur que Rachida Dati ou Najat Vallaud-Belkacem, qui elles-mêmes seront pas trop guindées pour être cordialement reçues à Barbès. Et dans le cas qui nous intéresse, l'éducation « à l'Algérienne » présente un certain nombre de différences culturelles qui font obstacle à son acceptation en France. Il serait erroné de considéré que les weshs n'ont pas été éduqués. Un soir que je rentrais dans ma cité carpentrassienne, précédé de quelques pas par mes grand-parents, nous avons croisé quelques weshs ; leur première réaction a été de leur dire gentiment bonsoir, car la culture maghrébine a beaucoup de respect pour les vieux ; ensuite, ils se sont rendu compte que les vieux en question étaient avec moi, le « sale juif », alors ils ont lancé des cailloux sur la voiture, mais il n'empêche : leur éducation avait parlé. Seulement cette éducation comporte des aspects qui paraissent déplacés ici. Notamment, une organisation clanique de la société, et une défense farouche de ce qu'ils considèrent comme leur territoire : s'ils vous alpaguent quand vous entrez dans la cité, c'est qu'ils voient votre présence comme une agression. Notez bien que je n'approuve pas ce raisonnement, je ne fais que l'expliquer : j'estime pour ma part être en droit de leur inculquer à coups de fusil dans le museau la notion constitutionnelle de liberté d'aller et venir, alias « je suis dans mon pays, je vais où je veux »...
La misogynie. Là encore, un problème culturel. Et qui ne concerne pas que les weshs, mais aussi nombre de vieux Maghrébins. Pour eux, une femme qui ne porte pas le voile et/ou se déplace seule est une pute. Soit, c'est culturel. Mais cela n'a pas lieu d'être sur le territoire de la République. Insulter une femme parce qu'elle est en pantalon, ou parce qu'elle leur adresse la parole sans y avoir été invitée, c'est indécent. Obliger des femmes et des filles à porter la tente, ça mérite des coups de fusil. Refuser que sa fille ou son épouse soit examinée par un médecin homme, c'est criminel.
L'endogamie. Les populations d'origine maghrébine sont plus endogames que celles d'origine européenne. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est une étude de l'INSEE publiée en 2010. Celle-ci montre que les enfants d'immigrés européens sont à 90 % issus de couples mixtes (un immigré, un local), le taux est de 66 % pour les descendants d'Italiens et d'Espagnols, de 33 % pour les Portugais, et seulement 30 % pour les Africains, Maghrébins compris. Or, n'importe quel ethnologue vous dira que le refus de l’inter-mariage est source de tensions importantes. Il semble que cette particularité soit liée plutôt à l'Islam. On remarque la même tendance à l'endogamie chez les musulmans de l'île de la Réunion, qui sont pourtant implantés là-bas depuis plus d'un siècle et qui sont originaires non du Maghreb mais de l'Inde. C'est d'ailleurs la seule communauté qui soit source de conflits sur cette île, modèle de multiculturalisme réussi.
La victimisation. Dernière grand source de tensions avec les weshs, leur utilisation malhonnête des lois antiracistes. Toute critique à leur égard se voit transformée en incitation à la haine raciale. Un tel comportement est d'autant plus insupportable lorsque les mêmes se montrent ouvertement et impunément antisémites : votre serviteur en fait régulièrement les frais, comme vous le savez.

Pourquoi les weshs font-ils de très convenables boucs émissaires ?

Les raisons évoquées ci-dessus ne sont pas coutumières que des weshs. Pour ne parler que des immigrés, puisque l'on ne va pas choisir un bouc émissaire dans sa propre communauté, la moyenne délinquance se rencontre assez souvent chez les Roms, la misogynie chez les immigrés d'Afrique noire, l'endogamie chez les Portugais et la victimisation chez les Juifs. Mais les weshs les regroupent toutes, et ça fait beaucoup pour les mêmes personnes. Par ailleurs, non content de cela, ils se sont constitués en un groupe social délimité. Ils ont un sociolecte qui leur est propre, le « français des banlieues », reconnu comme tel par les chercheurs en linguistique. Ils ont également adopté un style de coiffure particulier, ainsi que des signes de reconnaissance : la fameuse petite sacoche en bandoulière. En d'autres termes, non seulement les weshs accumulent les motifs d'acrimonie, mais ils font en sorte d'être visuellement identifiables, et d'homogénéiser leur groupe social. Ce sont les victimes parfaites pour un sacrifice libératoire.

Pourquoi le FN a-t-il autant de succès sur la question ?

Il existe un problème indéniable avec les weshs. Là encore, ce n'est pas moi qui le dis, mais une enquête très sérieuse des RG : sur 436 meneurs de bandes de délinquants étudiés, 87 % ont la nationalité française, et 67 % sont d'origine maghrébine. Et tout problème appelle une solution. Le FN propose de renvoyer tous les Maghrébins au Maghreb, sauf quelques uns qui montreraient patte blanche. Enfin, pas trop grise, quoi... L'UMP propose de sélectionner les meilleurs d'entre eux par la discrimination positive pour les envoyer à Science Po, et de passer les autres au karcher. Le FdG et le NPA proposent d'abattre le capitalisme, et que le problème se réglera alors de lui-même. Le PS et son chien méchant SOS Racisme nient l'existence du problème, et recommandent au contraire de les aider à trouver du boulot. Chacun a sa préférence pour l'une ou l'autre solution. Celle du FdG serait sûrement la plus profitable pour tous le monde, mais celle du FN est la plus simple et la plus rapide. Et nous arrivons là au nœud du problème.

Le frontiste moyen est-il nécessairement xénophobe ?

Non. Cette réponse peut apparaître surprenante au vu de tout ce qui a été dit jusqu'ici, mais c'est pourtant la seule possible. Si le frontiste moyen vote pour le FN, ce n'est pas nécessairement par xénophobie, c'est parce que le FN propose la solution la plus simple et la plus rapide pour se débarrasser du bouc émissaire du frontiste. Et si les weshs ont ce rôle, c'est pour tout un faisceau de raisons (cf. supra), le fait qu'ils soient étrangers ne suffisant pas à l'expliquer. Dans les années 1790, de jeunes bourgeois oisifs occupaient leurs soirées en allant tabasser des passants au hasard, à grands coups de canne. Nul doute que si ces brave Français bien de chez nous représentaient de nos jours la source la plus visible de perturbation sociale — j'insiste sur l'importance de la visibilité : Michelin qui licencie sept mille personnes l'année de ses bénéfices records cause plus de tort à l'électeur moyen que Karim qui tague les murs, mais ça se voit moins et plus tardivement — non seulement le frontiste moyen laisserait les weshs tranquilles, mais en plus il voterait pour le Front de Gauche, qui proposerait la solution la plus simple et la plus rapide pour se débarrasser de ces racailles de bourgeois. D'ailleurs, je rappelle à toutes fins utiles qu'une bonne partie de l'électorat frontiste votait PC il y a encore trente ans...

Pourquoi tant de haine envers les frontistes ?

Notre démocratie va mal. Les médias, censés représenter un contre-pouvoir, sont presque intégralement entre les mains de grands groupes capitalistes ou sous perfusion de la publicité. La classe politique est noyautée par quelques grands partis, qui en plus sont poreux : Hollande embauche toute la promotion Voltaire, Huchon est sauvé de la taule par l'UMP, le PS fait cadeau d'une circonscription à Bernadette Chirac dont la fraude électorale a pourtant été démontrée, l'UMP et le PC se partagent les marchés juteux de la Petite Couronne, etc. La corruption règne dans les hautes sphères de l'État et des collectivités territoriales : Balardgone, Médiator, hippodrome de Compiègne, affaire Tapie, affaire Guérini, j'en passe et des meilleures. Notre démocratie est éminemment complexe et nombreux sont ceux à qui l'on peut donner une part de responsabilité dans sa décrépitude. Mais déterminer quelle part en est imputable à chacun, que voilà une tâche titanesque ! Si les plus fins analystes de ce pays n'y sont pas parvenus, comment reprocher à des esprits plus simples de chercher une solution plus simple ? C'est humain. En vérité, c'est plus que cela : nos amis les chimpanzés pratiquent eux aussi la technique du bouc émissaire. Et dans un certain milieu, on a décrété que le FN et ses électeurs feraient de très bons boucs émissaires. Il est vrai que les plus hautes instances du FN laissent parfois échapper quelque idée de projet limitant la démocratie en France. Il est si simple, si pratique alors de mettre tous les électeurs du FN dans le même panier, de les accuser de soutenir ces élans antidémocratiques, de les accuser de ce fait de tous les maux de notre démocratie ! Peut-on vraiment blâmer les gens qui pensent ainsi ? Il est plus simple d'agir ainsi que de se demander pourquoi deux des principaux droits de l'Homme donnent à un patron le droit de mettre son personnel à la porte pour son seul profit et de prendre les armes si l'État se pique de l'en empêcher... (article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen)

En quoi est-ce une erreur de diaboliser le FN ?

Pour la même raison que les lois mémorielles sont une connerie sans nom. Pour rappel, les lois mémorielles, ce sont ces lois qui font de la négation des camps d'extermination un délit. Ainsi, au lieu d'expliquer à un jeune nazillon pourquoi on est certains que les camps ont existé, on peut désormais se contenter de lui répondre « Ta gueule, t'as pas le droit de dire ça », le confortant de ce fait dans son opinion qu'un grand lobby judéo-maçonnique essaye d'étouffer la vérité. Monsieur Odieux Connard a écrit des choses vachement bien sur le sujet. Il en va de même avec les électeurs du FN. En s'efforçant de leur interdire l'espace public, on nie que leurs revendications puissent être légitimes — ne pas se faire insulter en allant faire ses courses, ne pas croiser de fantôme à chaque coin de rue, avoir un travail aussi rémunérateur que le trafic de shit en bas de l'immeuble... — et ce faisant on les pousse à l'extrémisme. Alors qu'en discutant avec eux, on peut leur faire prendre conscience qu'en votant FN, leur tranquillité dans la cité sera au prix d'un État policier. On peut aussi prendre conscience nous-mêmes que les solutions du FN ne sont pas totalement stupides : en les adaptant, on peut essayer d'obtenir un compromis acceptable, qui permette d'offrir un peu de calme au frontiste moyen et au maghrébin intégré moyen le temps d'abattre le capitalisme ! Quant aux revendications qui ne nous semblent pas légitimes — fermer les frontières à l'immigration — qui sommes-nous pour décider qu'elles n'ont pas leur place dans le débat public ? Le NPA veut interdire les licenciements, le FdG veut instaurer un revenu maximum, Europe Écologie veut abandonner le nucléaire, l'UMP veut déréguler complètement l'économie. Chacun de ces projets, s'il venait à être appliqué, serait aussi lourd de conséquences — oserai-je dire dangereux ? — que les propositions les plus controversées du FN. Et pourtant, personne ne songe à censurer ces partis !

Et le problème des weshs, comment on le règle ?

Vaste question, à laquelle je me garderai bien de répondre de manière définitive. Mais je pense que la première chose à faire, c'est de traiter les weshs comme ce qu'ils sont : des citoyens français comme les autres. Ce n'est pas parce qu'ils sont d'origine maghrébine qu'il faut se montrer plus conciliant à leur égard. Quand des jeunes de ma cité ont caillassé les pompiers venus éteindre la voiture qu'ils avaient incendiée, la police n'aurait pas dû les disperser au flashball, elle aurait dû faire une descente dans les immeubles et mettre tous ces connards au gnouf. Comme elle l'aurait fait s'ils s'étaient appelés Clavel ou Soubeyrous. Et j'emmerde SOS Racisme. Profondément.

9 juin 2013

Foramen ad obstruendum

Un long billet est en préparation, mais je manque de temps pour le taper et le compléter. Aussi, pour faire patienter mes lecteurs les plus assidus (je ne sais même pas pourquoi je mets un pluriel ici (ah, mon ego me glisse à l'oreille que c'est un amendement de sa part)), voici une petite curiosité tirée des archives que j'inventorie en ce moment. Je n'ai pas de date précise, mais l'écriture est indubitablement du XVIIIe siècle. Voici le texte.

Depuis l'ofre que je fils le 23 de juliet dernié à Mr le mère, j'ofre pasant isy de rependre le cadran de l'orloge à l'uille et an oultre de faire une montre solaire à l'androy quy me sera endiqué par la coumunoté, auqel androy l'on fera faire par un mason l'estage et anduire et alisé l'androy à la gaz, et la despanse que je demande de quatre jours je m'an dépar et sera sur mon conte.

Ce document est intéressant, parce que c'est une des rares pièces dont on dispose qui n'ait pas été écrite par un membre de la classe supérieure, c'est à dire ayant reçu une éducation en bonne et due forme : c'est un simple artisan. Et cela permet de faire quelques remarques sur l'orthographe de la classe moyenne dans le sud-est. En effet, bien que le texte soit strictement en français, et que ce puisse tout à fait être la langue maternelle de l'auteur, étant donnée l'absence de faute de langue grossière, l'orthographe est empreinte d'occitanismes.
On remarquera en premier lieu le fait que le /s/ sourd est écrit avec un <s> simple, comme dans pasant au lieu de passant. En second lieu, l'orthographe trahit quelques prononciations méridionales. L'occitan a souvent un son /ou/ à la place des /o/ fermés du français, et notre scripteur l'a laissé échapper dans coumunoté. Par ailleurs, la forme juliet est indubitablement issue de l'occitan julhet qui se prononce à peu près /djulyèt/. Enfin, beaucoup plus marquante est la question des nasales. En effet, faisant totalement fi des habitudes du français, le scripteur écrit systématiquement <an> pour le son /an/ et <en> pour le son /in/ (rependre pour repeindre et endiqué pour indiqué) : c'est là le standard adopté par l'occitan, où le digraphe <in> se prononce /ine/.
Voilà tout ce qu'on peut en dire, mais je pense que l'anecdote est amusante.

16 mars 2013

Mauvais genre

Ayant lu l'article Genre et nom de mon ami kinezana, il m'est apparu que lui répondre prendrait trop d'espace pour un commentaire. Aussi, je m'étale ici.

En premier lieu, je voudrais réagir aux affirmation de Françoise Héritier, par ce simple mot : foutaises ! Ça veut dire quoi, le masculin est supérieur au féminin ? Est‑ce la question de l'accord ? En ce cas, l'islandais est un contre-exemple flagrant : quand des masculins et des féminins sont accordés en commun, le résultat est au neutre pluriel. En tous cas, faire des généralisations sur une notion (l'opposition grammaticale entre masculin et féminin) absente de la plupart des langues du monde est absurde.

Pour le reste, je dirais que le genre est arbitraire, lorsqu'il est étudié d'un point de vue synchronique. En revanche, dès lors que l'on s'y intéresse d'un point de vue diachronique, le genre est presque exclusivement déterminé par la morphologie, dans la langue où il acquiert ce genre.
Prenons l'exemple de « mort » féminin comparé à « Tod » masculin. Le premier vient du latin « mors » féminin, et plus loin de sa forme archaïque « mortis ». Lequel est constitué du radical « mor- », suivi d'un suffixe « -tis » qui est toujours féminin (cf. mens < men-tis, gens < gen-tis, etc.) tout comme son équivalent grec « -sis » (cf. thesis, basis, etc.), ce genre remontant à l'indo‑européen. Le second, lui, vient d'une forme germanique commune « *dauþuz », où le radical « *dau- » (cf. to die) est complété par le suffixe « *-þuz », dont le cognat latin est le suffixe « -tus » de quatrième déclinaison, qui forme des mots exclusivement ... masculins !
Les noms de jours sont tous masculins, car le suffixe -di vient du latin « dies » qui était masculin. De même pour les mois, qui sont d'anciens adjectifs accordés à « mensis » (= mois), un masculin.
À quelques exceptions très spécifiques près, un mot latin voit son genre déterminé par son suffixe, hors quelques catégories déterminées par le sens. De manière assez compréhensible, les noms désignant un homme ou un métier masculin sont masculins. Idem pour les femmes et métiers féminins qui sont féminins. Les peuples sont masculins pluriels car c'est le masculin qui l'emporte dans un ensemble d'animés masculins et féminins. Puis viennent les catégories moins évidentes : les arbres, pays et îles sont féminins et les vents et cours d'eau sont masculins. Il faut, pour comprendre, se souvenir que toutes ces choses étaient animées dans la conception plus ou moins animiste des anciens Latins et de leurs ancêtres indo‑européens. Ainsi, la Terre est une femme, donc les terres / les pays sont des féminins. Les arbres sont habités par des esprit femmes, les dryades des Grecs, ils sont donc féminins. C'est vraisemblablement un phénomène similaire qui est à l'œuvre pour les deux autres catégories.
À noter que si j'ai pris l'exemple du latin parce que c'est celui que je connais le mieux, il en va de même dans les autres langues indo‑européennes.
Et lorsque le genre d'un mot est acquis, il est très rare qu'il en change sans changer de forme, c'est à dire en adoptant un suffixe appartenant à un genre différent. Un cas marquant est celui des arbres : féminins en latins, ils sont masculins en français. Comment l'expliquer ? Par la pression de la morphologie, tout simplement. Les noms d'arbres étaient généralement de la deuxième ou de la quatrième déclinaison, lesquelles étaient très majoritairement masculines, puis les arbres fruitiers ont utilisé le suffixe -ier, masculin lui aussi, et enfin, quelques noms (« chêne », « érable ») viennent du gaulois où ces mots étaient masculins. Les rares noms d'arbre qui auraient pu demeurer féminin auront cédé face à la pression du nombre.

Mais tout cela ne fait que reculer le problème, jusqu'à l'indo‑européen. Comment s'est fait le choix du genre ? Eh bien sûrement de manière tout à fait aléatoire : la distinction entre masculin et féminin n'existait pas en indo‑hittite (alias indo‑européen archaïque). Et tout porte à croire que l'ancêtre direct de celui‑ci ne distinguait pas non plus le neutre : le genre grammatical était une notion inexistante, comme dans les langues ouraliennes par exemple, et lorsqu'elle a émergé, la répartition des mots abstraits s'est faite de manière fortuite.

Quant à la question des noms formés d'un verbe et d'un nom, c'est la question plus générale des noms composés. En allemand comme en latin, c'est le mot final qui détermine le genre ; en français, c'est le premier. Ainsi, on dit une voiture-balai, quand bien même balai est masculin. Et les verbes sont neutres, ce qui prend la forme d'un masculin en français.





Petite note en passant, qui sort du cadre de cet article, mais qui reste dans les questions de linguistique. Vous souvenez-vous de mon article sur l'accent circonflexe ? Si vous avez répondu non, courez le lire. Ceci fait, je rappelle qu'un problème était resté en suspens, celui du verbe « haïr », et de l'impossibilité de conjuguer un tréma et un circonflexe. J'ai finalement trouvé une solution : il suffit de l'écrire « hahir », sur le même modèle que « envahir » ou « ébahir ». Ainsi, il devient possible de distinguer le passé simple « il hahit » du subjonctif imparfait « qu'il hahît » ou « qu'il hahìt », selon la convention employée. Oui, c'est moche. Mais au moins tout le monde s'en souviendrait !

24 février 2013

De l'art de tendre le bâton pour se faire battre

Je viens de relire Persepolis de Marjane Satrapi. Évidemment, après une lecture pareille, se pose la question qui tue : comment en est-on arrivé là ? Comment les barbus ont-ils pu prendre et surtout garder le pouvoir ? Comment s'est-on retrouvé avec une telle haine de l'Occident dans un pays qui, il y a peu encore, nous considérait comme un modèle ? Alors je me suis documenté. Et sans prétendre être devenu un spécialiste de géopolitique moyen-orientale, je vous livre un petit résumé, qui pourrait tenir en vérité dans cette simple maxime, malheureusement constamment vérifiée : quand on remue la merde, il faut s'attendre, tôt ou tard, à se faire éclabousser.
L'histoire, c'est long. Remonter vingt ou trente ans en arrière suffit rarement à comprendre les éléments du présent. Il faut généralement aller voir ce que les ancêtres on fait ils y a quelques siècles, et que dans l'ensemble on a oublié. Dans le cas de l'Iran, il faut remonter au XIXe siècle. À cette époque, les Russes et les Anglais se livrent une lutte continuelle pour l'extension de leur zone d'influence en Asie Centrale. Et l'Iran, dont la puissance économique et militaire ne fait plus le poids, se trouve entre les deux. Ajoutez-y deux longs règnes successifs de shahs dépensiers, et vous obtenez le ticket gagnant. Tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle, pour maintenir leurs comptes à flot, les dirigeants de l'Iran ont dû accumuler les emprunts, essentiellement auprès de la Grande-Bretagne et de la Russie. Ne pouvant bien évidemment pas rembourser, ils accordaient alors des concessions, sur des pans entiers du marché, voire sur des fonctions gouvernementales, à ces deux pays. Lesquels, comme ils se doit, géraient leurs affaires pour leur profit, et non dans l'intérêt de la population locale.
C'est ainsi que se développe à partir de 1890 un fort sentiment nationaliste, tourné également contre le shah, qui est vu comme une marionnette aux mains des étrangers. La contestation augmente jusqu'à la création d'un parlement à peu près démocratique en 1906. Le shah meurt quarante jours plus tard, et son fils lui succède, qui veut revenir sur cette décision. Avec l'aide des deux grandes puissances, il fait bombarder le parlement, mais est finalement vaincu et chassé en 1909, remplacé par son fils. Pour tenter de desserrer l'étau, le parlement fait appel en 1911 à Morgan Shuster, un Américain, pour qu'il essaye de redresser l'économie iranienne. Il est chassé la même année suite à une invasion du nord du pays par la Russie et à de lourdes pressions diplomatiques.
Il faut savoir qu'un tournant majeur a eu lieu en 1909 : M. D'Arcy, concessionnaire britannique a trouvé du pétrole en Iran et fondé la Anglo-Persian Oil Company (APOC) pour l'exporter. Si je vous dis que cette compagnie a depuis bien grandi, changé de nom, et s'appelle désormais British Petroleum, vous devez commencer à saisir toute l'importance stratégique que prend le pays pour la Grande-Bretagne. Jusqu'à présent, c'était essentiellement la Russie qui avait bénéficié des concessions, les Anglais étant empêtrés en Afghanistan (salauds d'Afghans, déjà à l'époque ils refusaient de se laisser envahir !) Dès lors, le marasme n'en finit plus de s'étendre, l'Iran subissant une nouvelle et sévère humiliation lorsque les Anglais envahissent tout l'ouest du pays pendant la Première Guerre Mondiale, au motif de combattre les Ottomans.
C'est alors qu'intervient Reza Pahlavi, jeune général. Avec l'aide du premier ministre, il profite de l'absence du shah pour fomenter et réussir un coup d'État en 1921. En quelques années, il rétablit l'ordre, et les Britanniques applaudissent des deux mains lorsqu'en 1925, il prend place sur le trône. Quoi de mieux qu'un pays apaisé pour le commerce ? Mais leur joie est de courte durée. Reza Shah s'attache à moderniser le pays, en y installant notamment une ligne de chemin de fer. Pour ce faire, il se tourne vers d'autres puissances que les protagonistes de ce récit, en particulier vers l'Allemagne. Lorsque la guerre éclate, l'Iran décide de rester neutre, car l'inverse nuirait à son économie ; les Anglais, quant à eux, voient d'un mauvais œil la présence d'ingénieurs allemands dans le même pays que leurs principaux oléoducs, et exigent que le shah les expulse. Ce qu'il refuse. C'est alors la rebuffade de trop, la Grande-Bretagne et l'URSS envahissent l'Iran et remplacent Reza Shah par son fils Mohammad Reza Shah.
Dans un premier temps, celui‑ci est conforme aux attentes des Anglais, mais les revendications de son peuple reprennent vite le dessus. Pour améliorer les revenus du pays, le premier ministre Mohammad Mossadegh décide en 1951 de nationaliser la APOC. Chambard monstrueux, bien sûr, et dès 1953 il faut faire machine arrière suite à une intervention militaire musclée des Anglais et d'un petit nouveau dans le Grand Jeu, la CIA. N'ayant plus le levier du pétrole, le shah doit alors trouver un autre moyen pour contenter sa remuante population. Après divers essais infructueux, il lance finalement la Révolution Blanche en 1963. C'est ce qui va précipiter sa chute. Il était bien sûr décrié pour sa tendance à la dictature, mais ce n'est pas la seule raison de son échec, car mine de rien, il a considérablement augmenté le niveau de vie du pays en deux décennies. Seulement, parmi les réformes clés de la Révolution Blanche, on trouve la redistribution des terres agricoles aux plus pauvres, la nationalisation des forêts et des pâturages, la création d'un corps d'enseignants pour éradiquer l'illettrisme, et le droit de vote des femmes. Or, qui était un très gros propriétaire terrien, chargé de l'enseignement, et misogyne notoire ? Le clergé chiite. Et qui a pris le pouvoir en 1979 ? Bingo ! Vous avez tout compris.
Les Américains en ont rajouté une couche en 1980. Ils étaient apparemment fort surpris de voir débarquer les intégristes à la tête du pays ; c'est vrai qu'il n'y avait pas eu de signe annonciateur : déjà en 1925, c'était le clergé qui avait fait opter Reza Shah pour le titre de shah, abandonnant son idée originelle de république. Alors les USA ont eu la bonne idée d'armer l'Irak, qui passait à l'époque pour un pays progressiste, avec pour mission de chasser les vilains barbus anti‑occidentaux d'un pays producteur du pétrole. La suite, on la connaît...

6 février 2013

La Liberté guidant les peuples de l'Internet

Le grand combat de cette décennie sur Internet, et sans doute de la suivante, aura été celui de deux conceptions du logiciel, de deux conceptions de l'art et de sa distribution, qui s'opposent et sont pour l'essentiel incompatibles. C'est la question des licences libres. Il n'est pas besoin de revenir dans le détail sur le concept en lui‑même : il s'agit de mettre un contenu protégé par les droits d'auteur à disposition du public sans se réserver l'ensemble de ces droits. La plus connue de ces licences, en quelque sorte la mère de toutes les autres, c'est la General Public Licence, alias la GPL. Elle est publiée par la Free Software Foundation (FSF), qui a peu à peu acquis le statut de référence en matière de libre : les conceptions qu'elle édicte ont force de loi morale, et vouloir s'en écarter, ou élargir les perspectives, c'est risquer de s'attirer les foudres des libristes orthodoxes. De manière emblématique, on détermine si une licence est libre en vérifiant sa compatibilité avec la GPL : une nouvelle licence doit franchir cette épreuve pour être accueillie dans la grande famille du libre.
À l'origine, les licences libres concernaient le logiciel, et lui seul, et ont été conçues dans cette optique. En vérité, la FSF a même décrété que de son point de vue, l'art ne devait pas nécessairement être libre. Aussi, dans le domaine logiciel, on a vu se développer aux côtés de la GPL, des licences sœurs, comme la LGPL ou la GFDL, ainsi que des licences cousines, comme la licence MIT ou la licence BSD. Chacune de ces licences est considérée comme un tout indépendant des autres, même lorsque les noms sont similaires et qu'elles sont gérées par le même organisme. En 2002, la Creative Commons (CC) introduit le concept de licences modulaires : à partir d'une base commune, une série de licences est produite pour permettre de gérer finement ce qui est autorisé ou non. Pour cette raison, une partie des licences CC ne sont pas considérées comme libres par la FSF. Par ailleurs, les licences CC se positionnent ouvertement sur le contenu artistique.

Quelques notions de droit

Mais revenons sur le concept de licence, ou plus exactement de licence d'utilisation. Il s'agit d'un contrat par lequel un concédant distribue un objet et des droits afférents à un licencié, à la condition que le licencié accepte et respecte les clauses limitatives du contrat. La particularité de la licence est que le concédant signe par avance le contrat avec n'importe qui, la conclusion de la transaction se faisant au moment où le licencié prend possession de l'objet et des droits afférents, et donc accepte la licence. En tant que contrat, il est donc géré par le droit des contrats, qui en France est regroupé dans le Code Civil (CCi) et dans le Code de la Consommation (CCo). Si l'identité du licencié ne pose pas de problème, il faut détailler un peu plus la question du concédant. Dans le cas qui nous intéresse, à savoir la distribution d'une œuvre de l'esprit, le concédant est un ayant-droit, titulaire des droits d'auteurs et droits voisins sur l'œuvre en question. Son identité est déterminée par l'abondante législation sur le sujet, en l'occurrence les conventions internationales sur la propriété intellectuelle, et en France le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

En quoi est‑ce important de bien connaître ces aspects juridiques ? Tout simplement parce que, quoiqu'en pense Jean-Kévin qui rigole grassement de l'HADOPI en téléchargeant le dernier album de Taylor Swift, l'Internet est soumis au droit. On m'a déjà sorti l'argument comme quoi « on s'en fout du droit français, on est sur Internet, ça concerne le monde entier ». N'en déplaise à ces gens‑là, l'Internet n'est pas un État souverain, mais seulement un moyen de communication. Dès lors, une action — même réalisée sur Internet — effectuée entre deux personnes se trouvant sur le sol français, ou entre une personne sur le sol français et un ressortissant français à l'étranger, est soumise au droit français et à lui seul ! Il ne faut pas l'oublier. En d'autres termes, si vous Français(e), habitant en France, voulez distribuer un contenu sous licence libre sur Internet, vous avez obligation de vous assurer que cette licence est légale en droit français, sans quoi elle sera considérée comme nulle et non avenue. Ce qui signifie que si vous utilisez un contenu diffusé par un Français sous une licence libre illégale en droit français, l'ayant-droit pourra à tout moment soulever la nullité du contrat, et le contenu redeviendra propriétaire : en ne prenant pas ces précautions minimales, on perd la sécurité que les droits accordés seront pérennes, et donc tout l'intérêt d'une licence libre.
C'est là l'énorme défaut de la GPL : elle n'est pas valable en droit français. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais une publication très sérieuse de l'IRPI. Et ce pour trois raisons. Tout d'abord, elle est rédigée en anglais, et la FSF refuse de faire des traductions officielles ; or, depuis la loi Toubon de 1994, il est interdit de rédiger un contrat à destination d'un citoyen français dans une autre langue que le français. Ensuite, le droit français — parce qu'il est plus fortement marqué par le droit romain que ne l'est le droit anglo-saxon — n'autorise pas les formulations globales dans les contrats. Plus précisément, l'article L131-1 du CPI oblige à céder chaque droit un par un et nommément, ainsi qu'à préciser explicitement l'extension géographique et temporelle de la cession : la GPL qui se contente de céder tous les droits sans autre précision contrevient à cette disposition. Enfin, la GPL n'accorde aucune garantie d'aucune sorte sur le produit qui est distribué : cela est illicite au regard des articles L132-1 du CCo et 1386-15 du CCi, qui rendent caduc un contrat de consommation dont les clauses sont ouvertement disproportionnées en défaveur du consommateur.
C'est pour résoudre ces problèmes et offrir une licence libre utilisable sans crainte par des Français que des chercheurs du CEA, du CNRS et de l'INRIA ont créé la licence CeCILL : elle est rédigée en français, a éliminé les formulations globales et répartit équitablement les garanties et responsabilités entre concédant et licencié. À la suite de cette initiative, les licences CC se sont dotées d'une traduction française officielle adaptée au droit français. Notamment, la CC0 qui permet de se rapprocher du domaine public autant que le permet le droit français. Parallèlement, l'APRIL a rédigé la licence Art Libre qui correspond à la CC‑BY‑SA mais adapté à la sauce française.
La CeCILL a réglé un autre problème, qui reste présent dans les licences anglo-saxonnes, et dans les traductions françaises des licences CC : ces licences ne précisent pas la manière de gérer les litiges. Autant c'est relativement simple quand il s'agit de deux Français, autant le droit international des contrats devient un inextricable foutoir dès lors qu'un Français veut défendre ses droits face à un Américain du Michigan agissant par l'entremise d'une société écran au Malawi. Il est donc impératif, pour garantir la capacité de l'ayant-droit à se défendre en justice, de préciser explicitement dans la licence que tout litige se réglera en droit français et devant un tribunal français, sauf à ce qu'un accord différent soit trouvé entre les deux parties.

Ceci étant dit, la CeCILL est une licence de très bonne facture — et je vous invite vivement à l'utiliser plutôt qu'une licence anglo-saxonne si vous produisez des logiciels libres — mais limitée au logiciel. La licence Art Libre est limitée à une seule forme, et les traductions des CC, outre le problème du litige soulevé ci‑dessus, connaissent quelques limites quant à la finesse du détail des droits concédés. C'est ce que nous allons explorer à présent.

L'aliénation

Pour faire dans la finesse et la subtilité, on va commencer par la clause des CC qui suscite les débats les plus houleux et les critiques les plus véhémentes dans le monde du libre : la clause NC, alias Non-Commercial. Avant de s'interroger sur le caractère libre ou non d'une licence portant une telle clause, je voudrais revenir sur sa dénomination. Peut-être est‑elle valable en anglais — je ne maîtrise pas assez les subtilités de cette langue barbare pour me prononcer — mais assurément, en français, elle est abusive. En effet, si l'on regarde dans le détail du texte, on se rend compte que la licence limite la cession non aux utilisation non‑commerciales mais aux utilisations non‑onéreuses. Bon, quelle est encore cette subtilité janséniste ?
Le droit français définit assez précisément ce qui est un acte commercial et ce qui ne l'est pas dans les premiers articles du Code de Commerce. Je n'en ferai pas une description détaillée ici, 1 je me contenterai de dire que le commerce recouvre grosso modo l'achat de quelque chose dans le but de le revendre, en l'état ou modifié. Mais en réalité c'est plus complexe. On trouve ainsi ce qu'on appelle les « actes commerciaux par accessoire », qui sont stricto sensu des actes civils, mais qui en raison de leur forme, de leur but ou de la personne qui les fait, sont considérés comme commerciaux quand même. Par exemple, signer un contrat de travail est un acte civil. Mais si un commerçant embauche un commis, cela devient un acte commercial. Et au contraire, il existe des « actes civils par accessoire » qui, vous l'aurez deviné, sont stricto sensu des actes commerciaux, mais considérés comme civils en raison de leur nature d'accessoire d'une activité civile. Par exemple, acheter des ballons pour les revendre, c'est un acte commercial. Mais si un prof de sport vend des ballons à ses élèves pour qu'ils continuent à s'entraîner chez eux, c'est un acte civil par accessoire. La limite précise de ces catégories annexes n'est pas définie par la loi, ce sont les juges qui tranchent au cas par cas. Mais on peut penser qu'une association ayant pour but de faire connaître Wikipédia, et qui vendrait des CD contenant un condensé de l'encyclopédie à ceux qui n'ont pas d'accès à Internet, réaliserait un acte civil par accessoire, du moment que cette vente ne constituerait pas son activité principale.
Je donne cet exemple, car c'est un argument majeur contre le fait de placer l'encyclopédie sous licence CC‑BY‑SA‑NC plutôt que sous CC‑BY‑SA comme c'est actuellement le cas : cela interdirait de vendre Wikipédia sur des CD, par exemple dans le Tiers-Monde. Et dans la rédaction de la CC, c'est effectivement le cas, car elle n'interdit pas uniquement les utilisations commerciales, mais toute utilisation onéreuse, c'est à dire dans le but d'obtenir de l'argent ou une contrepartie en nature. Il faudrait donc pouvoir affiner le choix proposé, par une gradation à trois niveaux : tout permis — non commercial — non onéreux.

Une fois définie correctement, est‑ce qu'une licence comportant une clause « non commercial » serait libre. La question fait débat au sein de la communauté, et la réponse tendrait plutôt vers le non (voir chez Simon Giraudot). Pour ce qui est de la FSF, la réponse est indubitablement non. Mais il faut garder à l'esprit que la FSF, pour des raisons évidentes, a une conception très anglo-saxonne de la liberté, où la liberté de faire du fric avec à peu près n'importe quoi tient une place de choix. De mon côté, j'ai une vision peut‑être plus « continentale » de la question, qui considère qu'avoir à payer un intermédiaire est un obstacle dans l'exercice de sa liberté, surtout dans le domaine culturel, et qu'interdire l'utilisation commerciale de son œuvre est une garantie que chacun pourra y accéder et la réutiliser dans les conditions qu'il désire, sans qu'un intermédiaire ne vienne lui demander une contribution. Interdire toute utilisation onéreuse, est en revanche un frein à la diffusion comme on l'a vu plus haut. Cela est particulièrement important à mon sens dans le domaine de la recherche scientifique : la clause NC sur un article scientifique interdit de l'imprimer et de le revendre au prix du papier, mais la clause SA seule laisse tout loisir à une grosse boite d'édition de faire un best‑of des meilleurs articles de l'année et de se faire du beurre dessus.

L'attribution

Cette question un peu plus légère va nous permettre d'aborder un point important du droit d'auteur à la française. En droit français, il existe deux catégories de droits d'auteur : les droits moraux et les droits patrimoniaux. Les seconds correspondent au droit de gagner de l'argent avec son œuvre, les produits dérivés de son œuvre, et dans certains cas la revente et la location par un tiers de son œuvre. Il est possible sous certaines conditions de céder en tout ou partie ces droits, et ils sont limités dans le temps ; après quoi, l'œuvre entre dans le domaine public. Les droits moraux, sont tout autres : ils sont imprescriptibles et inaliénables. En français du petit peuple, ça veut dire qu'il est impossible de céder ces droits à quelqu'un d'autre, quand bien même on le voudrait, et qu'ils sont éternels : même lorsque l'œuvre est dans le domaine public, ces droits demeurent. C'est la raison d'être de la licence CC0 : le droit français interdit à un auteur d'abandonner ses droits moraux sur son œuvre, mais cette licence permet d'abandonner tous les autres droits.
Il y a quatre droits moraux. Le premier est le droit de divulgation, qui stipule que l'auteur seul est autorisé à décider du moment et du moyen de la première mise à disposition de son œuvre auprès du public. Dans le cadre d'une licence d'utilisation, la question ne se pose pas, puisque si un auteur émet une licence, c'est qu'il a accepté de divulguer son œuvre.
Le deuxième est le droit de paternité. Il est important de noter que le droit français diffère ici du droit anglo-saxon : de l'autre côté de la Manche, un auteur peut abandonner ce droit, et c'est pourquoi il peut faire le choix ou non de la clause BY de la licence CC. En revanche, si un Français diffuse son œuvre sous une licence CC n'incluant pas cette clause de paternité, la licence est caduque ! Cela signifie également que si l'auteur divulgue son œuvre sous un pseudonyme ou anonymement, il faut respecter ce choix.
Le troisième est le droit de repentir, qui autorise l'auteur à retirer son œuvre du marché, à charge d'indemniser le propriétaire de l'objet lorsqu'il s'agit d'un modèle unique, ou ceux à qui il a cédé ses droits patrimoniaux, si ceux‑ci avaient engagé des frais pour sa diffusion. Il va de soi que cette indemnisation est incompatible avec une clause « non onéreux ». À noter que ce droit n'est pas valable pour le logiciel, et que celui des agents publics dans le l'exercice de leurs fonctions est limité.
Le quatrième est le droit à l'intégrité que l'on verra dans la partie suivante.

L'altération

La question de l'altération de l'œuvre est regroupée chez CC sous la clause ND ou l'absence d'icelle, mais cette dernière recouvre en vérité plusieurs formes d'altération possibles. La modification consiste à conserver le même support et le même médium, 2 mais à altérer le contenu ; cela inclut l'intégration dans un tout plus vaste et la traduction. On peut vouloir l'interdire, par exemple dans le cas d'une norme, mais ce n'est alors plus une licence libre. La transposition conserve le contenu et le médium, mais altère le support ; rentrent dans cette catégorie, entre autres, prendre un tableau en photo, transformer un livre papier en epub, ou encore filmer une pièce de théâtre. L'adaptation conserve le contenu, mais altère le médium, et donc généralement le support ; on y trouve l'adaptation en film d'un roman, la transcription en partition d'un morceau de musique, ou le fait de filmer un concert.
Dans cette dernière catégorie rentre également l'interprétation, ce qui met en jeu les droits voisins, notamment celui d'artiste-interprète. En effet, si une partition — dans le domaine public, par exemple — est jouée par deux personnes différentes, le résultat ne sera pas soumis aux même droits voisins, et chaque interprète pourra diffuser sa version du morceau sous la licence qu'il désire.

C'est sur cette question de l'altération qu'intervient le droit à l'intégrité : si l'auteur autorise l'altération de son œuvre, il faut impérativement qu'elle soit mentionnée explicitement sur le résultat. Ainsi, il est interdit de publier un livre — même du domaine public — tronqué de certains morceaux, sans préciser que le texte est partiel. Et dans la mesure où il s'agit d'un droit moral, l'auteur n'a pas le loisir de l'abandonner dans sa licence.

La contamination

Sans doute la clause la plus simple, mais subordonnée à l'existence d'une clause autorisant au moins une forme d'altération. Il s'agit d'obliger celui qui altère son œuvre à diffuser le résultat sous une licence équivalente, si possible la même. Les anglophones appellent cela le copyleft, et la FSF l'encourage vivement, notamment dans la GPL. Techniquement, c'est une limitation à la liberté de celui à qui on diffuse l'œuvre, mais qui offre la garantie qu'elle ne sortira pas du monde du libre après une altération minimale. Ce qui prouve bien que la FSF choisit de définir la notion de liberté en fonction de ce qui l'arrange.

Et si on résume ?

Pour obtenir un panel de licences libres ou non pour du contenu culturel (à l'exclusion, donc, du logiciel), modulables à volonté, et valables en droit français, voici donc le plan général de rédaction, rédaction en français bien sûr, avec des sigles à combiner pour raccourcir le nom de la licence.

À inclure obligatoirement dans la licence Bien Public 3
  • La mention des textes législatifs qui conditionnent la légalité de la licence.
  • La définition des parties en jeu, notamment la place de l'interprète quand cela se justifie.
  • Le choix du droit français et de la justice française en cas de litige.
  • Le fait que les droits accordés le sont dans le monde entier, et aussi longtemps que le concédant possédera les droits patrimoniaux sur l'œuvre.
  • La garantie contre le vice caché.
  • La responsabilité partagée entre concédant et licencié en cas de dommage lors de la rediffusion de l'œuvre.
  • L'obligation de signaler explicitement l'auteur de l'œuvre sous la forme qu'il aura choisie.

La liste des droits concédés, énumérés un à un, au choix du concédant.
  • Le droit de diffuser l'œuvre à un tiers sans permission préalable du concédant. (D)
  • Le droit de modifier l'œuvre. (M)
  • Le droit de transposer l'œuvre. (T)
  • Le droit d'adapter l'œuvre. (A)
(Dans les trois cas précédents, il faudra en outre inclure la définition précise de ces termes, et l'obligation faite au licencié de signaler explicitement toute altération apportée à l'œuvre.)

La liste des conditions limitatives, au choix du concédant.
  • La diffusion à un tiers est autorisée, à condition que ce soit strictement sous la même licence. (I comme Identique)
  • Le droit d'altérer l'œuvre, à condition que le résultat soit diffusé sous la même licence ou une licence équivalente. (E comme Équivalent)
  • L'interdiction de faire une utilisation commerciale / onéreuse de l'œuvre. (NC/NO)

(Il n'est pas nécessaire de stipuler la sauvegarde du droit de repentir, sauf à mentionner que dans le cas d'une clause NO, il ne pourra être fait d'indemnisation.)

Voici un exemple de rédaction de quelques unes des licences BiPu, les autres suivront plus tard.
  • BiPu 0 (propriétaire)
  • BiPu DAMT (équivalente à la CC 0)
  • BiPu DIMTAE (compatible Wikipédia)
  • BiPu DIMTAENC

Une licence n'est pas libre au sens de la FSF si l'une des clauses D, M, T, A ou I est absente, ou si une clause NC ou NO est présente. En outre, elle n'est pas compatible avec la CC‑BY‑SA si la clause E est absente : cela signifie qu'il n'est pas possible d'inclure du contenu de Wikipédia au‑delà du simple droit de courte citation. Ces licences ne sont bien sûr pas définitives : n'étant pas un juriste, je ne m'aventurerais pas à affirmer qu'elle sont au mieux de leur solidité juridique, ni que les licences prétendument compatibles avec la CC‑BY‑SA ou la Art Libre le sont effectivement. Mais elles constituent une base intéressante, à améliorer.
Il va de soi que le texte de ces licences est diffusé sous les termes de la Licence BiPu‑DIMTAENC.

1 D'autant que certains aspects n'intéressent pas notre propos : un acte est commercial dès qu'il met en jeu des bateaux, certes, mais dans le cadre d'une licence d'utilisation d'un contenu culturel, on s'en tamponne la bastaque avec une misaine.
2 On distinguera trois média : l'écrit, l'audio, et le visuel, qui peuvent se combiner. Un film est audio-visuel, une BD tient du visuel et de l'écrit, et un livre lu est à la fois du domaine de l'écrit et de l'audio. On peut supposer l'existence d'autres média, comme l'odorama pour une sculpture en merde, mais c'est marginal.
3 Que je vous prierai d'abréger en BiPu, je ne veux pas être associé au fournisseur officiel de marée noire de Sa Majesté.

3 février 2013

On a trouvé le mouvement perpétuel !

Récemment, le Canard enchaîné a publié un de ses habituels articles sur la bouffe qui donnent envie de devenir ermite au fin fond du monde après les avoir lus. Cette fois‑ci, le sujet était l'île flottante. Normalement, un île flottante se fait avec quatre ingrédients en tout en pour tout. Savez‑vous que notre brave industrie agro‑alimentaire est parvenue à produire des îles flottantes nécessitant dix‑sept ingrédients pour être cuisinées ? Toutes sortes de gélifiants, épaississant, anti‑oxydants et à l'avenant. Mieux encore, il est désormais possible de faire de l'île flottante sans œuf !
À la suite de quoi, je me suis pris à regarder à nouveau la composition de ce que je mange. J'ai ainsi pu découvrir que les Maron'Suis, ces délicieuses et inimitables préparations à la châtaigne contiennent, outre trois additifs plus ou moins chimiques, du lait en poudre et ... de l'eau. Pour faire gonfler, je suppose. Alors même que toutes les recettes s'accordent à dire qu'il suffit de quatre ingrédients : de la crème fraîche, de la crème de marrons, un peu de sucre et de l'huile de coude. Et c'est pareil pour à peu près tout ce qui arrive déjà cuisiné dans notre assiette. C'est en partie lié à des impératifs de conservation, mais c'est surtout lié à des impératifs d'économies.
Quelle solution, alors, pour arrêter de manger toutes ces merdes ? Faire sa popote soi‑même et arrêter de se reposer sur les plats tous faits. Mais c'est là qu'émerge le nœud du problème : si on fait ça pour un seul plat de temps en temps, ça va encore, mais étendu à tous les desserts, biscuits, plats cuisinés et autres que nous mangeons, ça devient méchamment chronophage. Parce qu'en sus de la cuisine proprement dite, il faut faire la vaisselle à chaque fois. Et nous n'avons pas le temps, parce qu'il faut déjà passer sept heures par jour au boulot, et en rentrant s'occuper des tracas quotidiens ou bien sortir s'aérer l'esprit à une quelconque activité du soir. Alors on entretient cette industrie de la nourriture en pack.
Mais supposons. Le salariat et la fonction publique ne travaillent désormais plus que vingt heures par semaine, soit quatre heures par jour. Ça laisse tout de suite beaucoup plus de temps pour s'occuper de sa maison, de ses gosses, faire des tas de choses, entre autres se faire à manger ou s'occuper d'un petit potager, etc. Et ça limite le besoin de recourir aux ersatz que nous vend l'industrie agro‑alimentaire. Mais ça limite aussi les besoins en garderie pour s'occuper de ses enfants quand on est au boulot, en visites médicales et en produit contre les boutons parce qu'on bouffe de la merde et qu'on est stressé. Dit autrement, c'est parce que nous travaillons autant que nous créons un besoin pour toute une gamme d'emplois, que nous n'aurions pas en travaillant moins. Notre travail crée un besoin de travail supplémentaire : nous avons inventé l'énergie auto‑productrice !