24 février 2013

De l'art de tendre le bâton pour se faire battre

Je viens de relire Persepolis de Marjane Satrapi. Évidemment, après une lecture pareille, se pose la question qui tue : comment en est-on arrivé là ? Comment les barbus ont-ils pu prendre et surtout garder le pouvoir ? Comment s'est-on retrouvé avec une telle haine de l'Occident dans un pays qui, il y a peu encore, nous considérait comme un modèle ? Alors je me suis documenté. Et sans prétendre être devenu un spécialiste de géopolitique moyen-orientale, je vous livre un petit résumé, qui pourrait tenir en vérité dans cette simple maxime, malheureusement constamment vérifiée : quand on remue la merde, il faut s'attendre, tôt ou tard, à se faire éclabousser.
L'histoire, c'est long. Remonter vingt ou trente ans en arrière suffit rarement à comprendre les éléments du présent. Il faut généralement aller voir ce que les ancêtres on fait ils y a quelques siècles, et que dans l'ensemble on a oublié. Dans le cas de l'Iran, il faut remonter au XIXe siècle. À cette époque, les Russes et les Anglais se livrent une lutte continuelle pour l'extension de leur zone d'influence en Asie Centrale. Et l'Iran, dont la puissance économique et militaire ne fait plus le poids, se trouve entre les deux. Ajoutez-y deux longs règnes successifs de shahs dépensiers, et vous obtenez le ticket gagnant. Tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle, pour maintenir leurs comptes à flot, les dirigeants de l'Iran ont dû accumuler les emprunts, essentiellement auprès de la Grande-Bretagne et de la Russie. Ne pouvant bien évidemment pas rembourser, ils accordaient alors des concessions, sur des pans entiers du marché, voire sur des fonctions gouvernementales, à ces deux pays. Lesquels, comme ils se doit, géraient leurs affaires pour leur profit, et non dans l'intérêt de la population locale.
C'est ainsi que se développe à partir de 1890 un fort sentiment nationaliste, tourné également contre le shah, qui est vu comme une marionnette aux mains des étrangers. La contestation augmente jusqu'à la création d'un parlement à peu près démocratique en 1906. Le shah meurt quarante jours plus tard, et son fils lui succède, qui veut revenir sur cette décision. Avec l'aide des deux grandes puissances, il fait bombarder le parlement, mais est finalement vaincu et chassé en 1909, remplacé par son fils. Pour tenter de desserrer l'étau, le parlement fait appel en 1911 à Morgan Shuster, un Américain, pour qu'il essaye de redresser l'économie iranienne. Il est chassé la même année suite à une invasion du nord du pays par la Russie et à de lourdes pressions diplomatiques.
Il faut savoir qu'un tournant majeur a eu lieu en 1909 : M. D'Arcy, concessionnaire britannique a trouvé du pétrole en Iran et fondé la Anglo-Persian Oil Company (APOC) pour l'exporter. Si je vous dis que cette compagnie a depuis bien grandi, changé de nom, et s'appelle désormais British Petroleum, vous devez commencer à saisir toute l'importance stratégique que prend le pays pour la Grande-Bretagne. Jusqu'à présent, c'était essentiellement la Russie qui avait bénéficié des concessions, les Anglais étant empêtrés en Afghanistan (salauds d'Afghans, déjà à l'époque ils refusaient de se laisser envahir !) Dès lors, le marasme n'en finit plus de s'étendre, l'Iran subissant une nouvelle et sévère humiliation lorsque les Anglais envahissent tout l'ouest du pays pendant la Première Guerre Mondiale, au motif de combattre les Ottomans.
C'est alors qu'intervient Reza Pahlavi, jeune général. Avec l'aide du premier ministre, il profite de l'absence du shah pour fomenter et réussir un coup d'État en 1921. En quelques années, il rétablit l'ordre, et les Britanniques applaudissent des deux mains lorsqu'en 1925, il prend place sur le trône. Quoi de mieux qu'un pays apaisé pour le commerce ? Mais leur joie est de courte durée. Reza Shah s'attache à moderniser le pays, en y installant notamment une ligne de chemin de fer. Pour ce faire, il se tourne vers d'autres puissances que les protagonistes de ce récit, en particulier vers l'Allemagne. Lorsque la guerre éclate, l'Iran décide de rester neutre, car l'inverse nuirait à son économie ; les Anglais, quant à eux, voient d'un mauvais œil la présence d'ingénieurs allemands dans le même pays que leurs principaux oléoducs, et exigent que le shah les expulse. Ce qu'il refuse. C'est alors la rebuffade de trop, la Grande-Bretagne et l'URSS envahissent l'Iran et remplacent Reza Shah par son fils Mohammad Reza Shah.
Dans un premier temps, celui‑ci est conforme aux attentes des Anglais, mais les revendications de son peuple reprennent vite le dessus. Pour améliorer les revenus du pays, le premier ministre Mohammad Mossadegh décide en 1951 de nationaliser la APOC. Chambard monstrueux, bien sûr, et dès 1953 il faut faire machine arrière suite à une intervention militaire musclée des Anglais et d'un petit nouveau dans le Grand Jeu, la CIA. N'ayant plus le levier du pétrole, le shah doit alors trouver un autre moyen pour contenter sa remuante population. Après divers essais infructueux, il lance finalement la Révolution Blanche en 1963. C'est ce qui va précipiter sa chute. Il était bien sûr décrié pour sa tendance à la dictature, mais ce n'est pas la seule raison de son échec, car mine de rien, il a considérablement augmenté le niveau de vie du pays en deux décennies. Seulement, parmi les réformes clés de la Révolution Blanche, on trouve la redistribution des terres agricoles aux plus pauvres, la nationalisation des forêts et des pâturages, la création d'un corps d'enseignants pour éradiquer l'illettrisme, et le droit de vote des femmes. Or, qui était un très gros propriétaire terrien, chargé de l'enseignement, et misogyne notoire ? Le clergé chiite. Et qui a pris le pouvoir en 1979 ? Bingo ! Vous avez tout compris.
Les Américains en ont rajouté une couche en 1980. Ils étaient apparemment fort surpris de voir débarquer les intégristes à la tête du pays ; c'est vrai qu'il n'y avait pas eu de signe annonciateur : déjà en 1925, c'était le clergé qui avait fait opter Reza Shah pour le titre de shah, abandonnant son idée originelle de république. Alors les USA ont eu la bonne idée d'armer l'Irak, qui passait à l'époque pour un pays progressiste, avec pour mission de chasser les vilains barbus anti‑occidentaux d'un pays producteur du pétrole. La suite, on la connaît...

3 commentaires:

  1. Je l'ai lu. C'est tellement bien que j'ai pas pu m'empêcher de faire tourner l'article sur ma page FB.

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  2. Bieen écrit et clair, c'est tray tray cool ! Maintenant explique-moi une chose : comment peut-on n'applaudir que d'une seule main ?

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  3. En se martelant la poitrine avec la main, pourquoi ? On parle de chiites, après tout ...

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